J’ai peur de ne pas être pertinente

Bande de Flippés, c’est notre podcast en partenariat avec myRHline.

Dans cet épisode : Sandrine Leligois nous confie sa peur de ne pas être pertinente.

Vous pouvez l’écouter, ou simplement lire la transcription ci-dessous.

Bouh !


Sandrine [00:00:02] J’ai peur de ne pas être pertinente.

L’étincelle RH [00:00:07] Bienvenue dans Bande de Flippés, le podcast qui explore les peurs des DRH et des recruteurs. Que l’on ait 2 ou 20 ans d’expérience dans la fonction, les doutes subsistent, inhérents à la complexité de la nature humaine. A qui puis-je en parler ? Dois-je partager à ce sujet ? Où trouver les solutions ? Nous partons à la rencontre de DRH, RH, recruteurs et recruteuse qui se confient à notre micro et ont décidé d’affronter la peur de parler de ses peurs.

Christophe – myRHline [00:00:36] Nous sommes aujourd’hui avec Sandrine. Après une formation initiale dans la com et la pub, Sandrine rejoint très vite la fonction RH. D’abord comme RRH chez Sephora, elle rejoint ensuite en 2007 le groupe Accor. Une riche carrière dans le groupe Accor, qui l’amène jusqu’à ses fonctions actuelles de VP HR au siège d’Accor Invest. Mais malgré ce beau parcours, Sandrine est flippée. Bonjour Sandrine.

Sandrine [00:01:03] Bonjour Christophe.

Christophe – myRHline [00:01:04] Peux-tu nous expliquer tes peurs ?

Sandrine [00:01:07] Alors ma peur principale, c’est la peur de ne pas être pertinente. La peur de ne pas être pertinente, ça veut dire de ne pas être capable de poser le bon diagnostic à un instant T, de ne pas être capable d’apporter des solutions à des problématiques qui sont soit déjà identifiées par l’entreprise, soit pas encore identifiées, mais qu’on peut sentir via des signaux faibles. Ou parce qu’on a lu dans des articles où l’on a appris que dans d’autres entreprises il y a des tendances qui se passent, et il n’y a pas de raison qu’à un moment ou un autre ça n’arrive pas dans notre entreprise à nous. Et du coup, c’est quelque fois aussi d’éclairer nos managers, nos leaders, sur des phénomènes qu’ils n’ont pas encore perçus. Sur la pertinence, quand on ne pose pas le bon diagnostic, forcément on n’apporte pas la bonne solution et on n’accompagne pas de la bonne manière, donc on tombe à côté de la plaque.

Christophe – myRHline [00:01:58] Alors quand tu dis « ne pas être pertinente », mais vis-à-vis de qui ?

Sandrine [00:02:03] Vis-à-vis de la direction, de nos manageurs pour apporter un diagnostic, des solutions. Vis-à-vis des collaborateurs aussi, parce que quelquefois on peut lancer des grands programmes de développement et en fait aucun succès parce que ça ne parle pas aux collaborateurs. Ou alors les techniques de learning ne sont plus les mêmes. Ou parce qu’on décide de faire un programme uniquement digital et que nos collaborateurs, sur cette problématique là, ça ne va pas être le bon moyen de les développer. Ou parce qu’à un instant T on a cru que leurs aspirations de carrière, c’était d’aller vers la droite et finalement entre temps ils ont changé d’avis, ils vont vers la gauche et nous on l’avait pas vu venir. Donc le manque de pertinence il est là, parce que du coup ça veut dire que derrière il y a des équipes qui ont travaillé pour apporter des solutions, et puis ça tombe à l’eau. On a dépensé du temps, de l’argent, le collaborateur se dit « Les RH ne servent à rien » et notre direction nous dit « Bon, on va faire sans eux, ça ira plus vite ».

Christophe – myRHline [00:03:08] Est-ce que ne pas être pertinent, c’est ne pas être crédible ?

Sandrine [00:03:12] Pour moi c’est la base. C’est-à-dire que pour être crédible, il faut être pertinent. Après, on peut avoir le bon diagnostic et pas la bonne solution. Donc la crédibilité elle va arriver après avec les résultats, et la légitimité elle va arriver ici. Mais si clairement, on n’a pas le bon diagnostic au départ, on ne peut pas être crédible parce qu’on ne peut pas être dans la réussite ou dans l’achèvement de résultats.

Christophe – myRHline [00:03:37] Est-ce que tu penses que tu t’es déjà retrouvée dans des situations où tu n’étais pas pertinente ?

Sandrine [00:03:43] Oui, ou en tout cas où je ne me sentais pas pertinente. Je pense notamment il y a deux ans, j’ai dû travailler sur la mise en place d’un SIRH pour l’entreprise et c’est un domaine que je ne connaissais absolument pas, et en plus c’était un domaine technique où je savais que ça coûtait énormément d’argent et où on n’aurait pas la possibilité de se planter, ou en tout cas pas deux fois. Et du coup, quand on m’a confié cette mission-là, j’avoue que j’étais très très très flippée. Il y a eu plusieurs soirées où je n’ai pas bien dormi et j’ai demandé à être accompagnée déjà par un cabinet de conseil. Et puis je suis allée chercher en fait en disant « Bon, ok, je connais rien à la technique, qu’est-ce que je sais ? Qu’est-ce que je connais ? » Et ce que je connais, c’était le métier de RH chez Accor Invest. Les outils qu’on utilisait, les process qu’on avait, ce qu’on n’avait pas aussi, et du coup je me suis dit « OK, les consultants ils vont nous aider sur la partie technique et moi je vais les aider sur ce dont on a besoin et comment on travaille ». Donc je suis allée chercher en fait. Au lieu de travailler uniquement sur mes points de faiblesse, je me suis appuyée sur mes points de force pour essayer de compléter l’équipe qu’on a formée avec les consultants.

Christophe – myRHline [00:04:50] Finalement, la fonction RH qui est quand même ultra polyvalente, ne permet pas d’être pertinent en permanence ?

Sandrine [00:04:56] Non, mais il faut savoir le dire aussi. Le plus difficile en fait, c’est d’identifier ce sur quoi on n’est pas pertinent. Le fait de quelques fois on sort de réunions on se dit « il me manque un truc, mais je n’ai pas mis le doigt sur ce que je n’ai pas compris ». Ou quelquefois au contraire, le plus dangereux finalement, c’est d’avoir l’impression d’avoir compris alors qu’on est passé à côté de quelque chose. Et ça, je l’ai ressenti dans mon parcours chez Accor Invest. J’ai été RH en Angleterre, mais j’étais basée en Angleterre et j’étais RH aussi de la Belgique et des Pays-Bas. Et je me suis retrouvée à gérer des situations en droit du travail qui n’avaient rien à voir avec ce que j’avais connu jusqu’à présent, dans des cultures différentes, dans des langues différentes. Et il y a plein de fois où je me suis dit « Oulala, j’ai l’impression que je marche sur des oeufs ». Il y a six ans, quand on parlait de discrimination ou de harcèlement en Angleterre, c’était pas tout à fait la même chose que la vision qu’on pouvait en avoir en France par exemple. Et là, j’ai eu beaucoup de chance d’avoir dans mon équipe des personnes avec qui j’avais été très sincère dès le début et en leur disant « OK, moi je connais pas le droit du travail, j’ai eu une formation interculturelle, mais je vais forcément loupé des choses. Donc votre job c’est de m’informer, à un moment si vous me voyez faire un pas de côté, c’est de me le dire ». Et du coup, j’ai eu une équipe qui a été hyper vigilante. Et justement, on s’est complètement complétés.

Christophe – myRHline [00:06:22] Alors par rapport à ça, tu parles justement de l’interculturel et effectivement c’est assez facile de se planter. Il y avait une question qui était intéressante par rapport à ça, parce que tu as quand même été en relation avec des salariés d’autres pays. Il y avait cette question sur la place de l’informel dans la fonction RH, mais la place de l’informel elle prend tout son sens quand tu te retrouves dans des situations justement un peu compliquées, où tu n’es pas à l’aise. Est-ce que tu as des anecdotes à nous raconter par rapport à ça ?

Sandrine [00:06:53] J’en ai plein parce qu’en plus, avant de moi de partir à l’international, à une époque j’ai géré la mobilité internationale chez Accor, donc je gérais les expatriés et ceux qui partaient très loin. Donc là, l’informel, en fait, il est très fort et on crée des liens avec les collaborateurs qui ne sont pas des liens presque normaux entre un RH et son collaborateur. Quand on fait bouger quelqu’un à l’international, on fait aussi bouger sa famille et par exemple au moment où on était en CV anonyme en France, moi je demandais aux gens « OK, mais t’es vraiment célibataire ou pas ? Il y a quelqu’un dans ta vie ? Et cette personne, elle fait quoi ? Elle travaille ? Et tes enfants ils ont quel âge ? ». Et du coup ça crée des liens parce qu’on déplace des familles. Et après donc moi je suis partie à l’international et en effet, ça crée d’autres liens aussi parce qu’on est déraciné. Parce que les premiers temps, les seules personnes que vous connaissez dans le pays, c’est vos collègues de travail, donc l’informel. Quand on est en Angleterre, le pub time c’est un moment qui est culturellement important dans la vie de l’entreprise. Et en même temps ce moment où le vendredi, on est tous au pub avec une bière, ça peut être un peu déroutant aussi. Et du coup, de trouver aussi la limite entre « à quel moment j’ai mon rôle de RH » vs « à quel moment je suis Sandrine ». Et quand quelqu’un me parle au pub, est-ce qu’il parle au DRH ou est-ce qu’il parle à Sandrine ? Et ça c’est la partie intéressante, ça fait partie du jeu en général il parle aux deux, et ce qu’on nous dit c’est pas non plus totalement anodin, même quand on nous le dit de manière informelle. Mais je trouve ça intéressant du coup de se nourrir de l’informel.

Christophe – myRHline [00:08:27] Comment tu fais pour rester à la page avec tout ça ?

Sandrine [00:08:31] Je lis beaucoup, je fais partie de plein de groupes, de think tank, de petits-déjeuners, j’écoute des podcasts, je lis des articles pour essayer justement de voir ce qui se passe, je benchmark, je fais partie de jurys d’innovation des autres entreprises aussi pour voir comment ils ont fait et qu’est-ce que qu’est ce que je peux piocher là-dedans qui pourrait marcher dans mon entreprise, et j’essaye de rester à la page de cette manière-là, ce qui n’est pas toujours simple.

Christophe – myRHline [00:09:07] Donc ton conseil principal pour nos amis RH qui vont nous écouter, c’est quand même de sortir un peu la tête de leur bureau ?

Sandrine [00:09:14] Oui, le networking pour moi c’est vraiment le secret. Je l’ai découvert tard et j’ai vraiment découvert la force du networking quand je suis arrivée en Angleterre, parce que je connaissais rien, il fallait que je me forme. Et à mon retour en France, je l’ai vraiment pris comme une priorité, notamment parce que j’étais sur un domaine de transformation digitale auquel je ne connaissais rien, et en me disant « il va falloir que j’aille m’inspirer de ce que font mes pairs », et pas forcément dans mon entreprise. Parce que justement, si le but du jeu c’est de transformer, il faut aller voir ce qui se passe ailleurs. Et du coup oui, si j’ai un conseil pour chaque nouveau DRH, c’est 1 : peut-être se faire mentorer par quelqu’un d’autre de l’entreprise, pas forcément par son manager. Et 2 : aller à l’extérieur, les pairs ont souvent la solution.

Christophe – myRHline [00:10:05] Et pas forcément par un RH ?

Sandrine [00:10:07] Et pas forcément par un RH en plus en effet. Moi, j’ai toujours une vision très opérationnelle des RH parce que mes premiers managers étaient des opérationnels. J’ai un ancien patron qui me dit tout le temps « Toi, t’es pas une vraie RH », ce que je prends comme un compliment d’ailleurs. Bon il me dit aussi « T’as pas envie de devenir DAF, donc ce n’est pas très grave si tu ne comprends pas tous les chiffres ». Mais cette vision en fait, d’avoir un patron opérationnel ou un patron technique sur la vision RH, ça aide à prendre de la hauteur parce que justement ça nous explique que notre métier c’est pas de la technique. Enfin pas que.

Christophe – myRHline [00:10:44] Et donc ça t’aide à être pertinente.

Sandrine [00:10:46] Exactement.

Christophe – myRHline [00:10:47] Donc être pertinent, ça veut dire aussi être au contact ?

Sandrine [00:10:50] Oui être en contact, avec toujours ce point quand un collaborateur nous parle, il peut parler à la DRH, il peut parler à Sandrine. Et du coup, à quel titre il me donne cette information-là ? Qu’est-ce qu’il veut que j’en fasse ? Et quelquefois, ça va être des collaborateurs que je suis depuis longtemps et je sais que la discussion elle est vraiment off. Et puis il y a des moments où on se dit « Tiens, s’il me donne cette info-là, c’est que quand même il veut que j’en fasse quelque chose » et ça va venir nourrir ma réflexion sur autre chose. Mais oui, le DRH proche du collaborateur… enfin « proche », toutes choses étant égales par ailleurs, mais en tout cas au contact, oui, c’est primordial.

Christophe – myRHline [00:11:35] Alors au contact, ça veut dire uniquement au siège ou ça veut dire aussi aller sur site ?

Sandrine [00:11:41] Alors sur site. C’est important pour moi de qu’on connaisse les métiers. On a essayé dans notre programme d’onboarding (ça a été un peu arrêté avec le Covid), mais dans notre programme d’onboarding, chaque personne qui arrive au siège, qu’elle soit à la finance ou à la maintenance, normalement elle passe par un hôtel pour au moins comprendre ce que c’est que les métiers de l’hôtellerie.

Christophe – myRHline [00:12:02] Tu peux nous raconter une situation où tu n’as pas été pertinente ?

Sandrine [00:12:07] Euh… jamais *rires*. Pour être pertinent, on ne peut pas être formé partout, on ne peut pas tout connaître et notamment plus on monte dans la hiérarchie, même si je n’aime pas forcément cette image-là, mais il y a un moment où dans nos équipes on a les experts. Donc il faut surtout apprendre à identifier les situations et de savoir à quelle expertise il faut qu’on se réfère. Aujourd’hui, je pense que quand on est DRH d’un groupe ou DRH d’un pays, on n’est pas censé connaître le code du travail sur le bout des doigts, on n’est pas censé savoir faire une paye du début à la fin, on n’est pas censé… enfin toute cette expertise-là on a des équipes pour le faire. Par contre, il faut être capable d’identifier quelles sont les situations à risque, quels sont les moments où il faut qu’on écoute nos experts pour savoir est-ce qu’il faut faire évoluer le logiciel paye ? Est-ce qu’on a besoin de changer une politique ou une stratégie sociale ? Et du coup c’est là où la pertinence elle devient importante, puisque la solution technique n’est plus importante. La solution technique, c’est pas nous qui allons l’apporter, c’est nos équipes. Par contre le diagnostic de qu’est-ce qu’il faut changer et pourquoi il faut le changer ? Quelle est la vision ? C’est c’est là qu’est notre valeur ajoutée en fait.

Christophe – myRHline [00:13:30] Donc un RH pertinent c’est un RH, quand même, qui se prend par la main pour pas mal s’auto former et aller regarder ce qui se passe en interne et en externe ?

Sandrine [00:13:39] Oui, j’en suis persuadée. Si on reste trop focus sur notre propre périmètre, dans notre propre entreprise, il y a forcément un moment où on ne se voit plus et on n’a plus cet effet miroir, on n’a plus cet effet d’étonnement. C’est vraiment comme dans un appartement, au bout d’un moment, la peinture qui s’écaille on ne la voit plus. On la voit le premier jour quand on arrive, on ne la voit plus après et du coup, d’aller voir ce qui se passe à l’extérieur, ça permet de regarder ce qui se passe chez nous d’une autre manière et d’avoir un autre œil. Il ne faut pas y aller tout le temps non plus, on a quand même du travail sur place, mais en tout cas d’aller prendre de l’inspiration, parce que quelquefois, même si ce n’est pas toutes les situations que vivent les autres on ne peut pas forcément les récupérer pour les amener dans l’entreprise. Notamment quand on travaille dans l’hôtellerie, c’est une industrie qui est très très très people oriented : un hôtel, s’il n’y a pas de collaborateurs, c’est pas un hôtel. Donc le service client, il repose sur les hommes et ça ça ne pourra jamais être complètement digitalisé, ça ne pourra jamais être externalisé complètement, ça ne pourra jamais être envoyé à l’étranger. Il y a un moment, la chambre d’hôtel, elle est là et on a besoin de quelqu’un pour vous accueillir le soir, vous remettre une clé, etc. Et du coup, prendre des best practices d’entreprise qui sont hyper hyper processées, industrielles, on pourrait se dire que ça n’a aucun intérêt parce que c’est pas la même industrie. Ça souvent c’est le short cut, le raccourci un peu facile à prendre de se dire « Oui mais eux c’est pas pareil » ou « Nous c’est pas pareil ». En effet, nous c’est pas pareil mais en quoi est-ce que c’est différent ? Et par contre, c’est quoi les 20, 30, 50, 70% qui sont communs, et finalement qu’est-ce que je peux en retirer ? Ça, ça me semble primordial.

Christophe – myRHline [00:15:31] Donc finalement, pour être pertinent en tant que RH, c’est quoi les compétences essentielles que le RH doit avoir ? Les compétences humaines. Les fameux « sift skills ».

Sandrine [00:15:44] Les fameux soft skills *rires*. L’écoute, ça c’est évident. Être dans l’écoute bienveillante, pas condescendante et pas non plus en mode assistante sociale, parce que ce n’est pas notre métier. Mais d’être en effet dans la disponibilité aussi, l’accessibilité, c’est pour moi quelque chose de très important. Le côté « portes ouvertes », ça ne doit pas être juste un slogan, mais de se dire que n’importe quel collaborateur doit être capable de venir nous voir s’il a un problème. C’est toujours facile à dire quand on est au siège etc., mais en tout cas de se dire que pour moi, ma pertinence, ça a toujours été ça, de dire « Là où je travaille, les collaborateurs de cet endroit-là savent que je suis accessible ». Je n’aurais pas forcément des réponses qui les satisferont tout le temps. Il y a des fois où non, et puis voilà on en discute et c’est non. Mais en tout cas que eux sachent que je suis accessible, ça c’est quelque chose qui est important pour moi. Donc l’écoute, l’accessibilité, la remise en question aussi, le fait de se dire « une solution qui a marché il y a deux ans, peut-être que ce n’est pas la bonne cette fois-ci et du coup il faut peut-être essayer, mais ça vaut beaucoup aussi de regarder si la solution est toujours la bonne ou pas ». Et puis la curiosité.

Christophe – myRHline [00:17:18] Maintenant que tu nous a montré que finalement, t’es très pertinente dans ton rôle de RH chez Accor Invest, la question que je me pose, c’est finalement ta peur te permet d’être pertinente tout le temps ? Parce que c’est ta peur qui fait que tu vas regarder à l’extérieur, que tu vas au contact… Mais t’as jamais déraillé finalement.

Sandrine [00:17:37] Alors je pense qu’il m’est arrivé de dérailler. Mais la peur, elle ne doit pas paralyser. Ce qui est important pour moi c’est d’identifier ça. J’ai fait ce travail-là avec des coachs parce que c’est important aussi de se faire accompagner quand on sent qu’on dérape ou qu’on est capable de dérailler, et avec l’expérience d’identifier ses propres comportements. Quelque fois, quand on est RH, on voit les choses chez les autres et on le voit pas sur soi. Donc on est capable d’identifier qu’un collaborateur en fait il a peur et que c’est pour ça qu’il réagit comme ça, et nous on ne va pas se poser la question de pourquoi est-ce que nous on réagit de cette manière là. J’ai fait du travail de coaching à une époque et aujourd’hui je pense que je sais identifier dans mon comportement le moment où « ok si tu réagis comme ça, c’est que t’as peur ou que tu es stressée et du coup c’est OK. Le problème ne vient plus des autres, le problème vient de toi, va faire un tour et puis tu reviendras après ». Et le fait d’identifier ce comportement de peur, ça peut permettre aussi de mettre en place des stratagèmes pour la contourner. De manière anthropologique, la peur, c’est aussi ce qui nous préserve du danger, c’est ce qui nous maintient alerte et du coup, c’est ce qui nous a maintenu vivant. L’homme préhistorique, il avait peur et c’est ce qu’il a maintenu vivant. C’est le cerveau reptilien, c’est celui qui est intuitif et il faut savoir s’écouter. Mais il ne faut pas que ça nous paralyse. Donc en fait, c’est vraiment de trouver des stratagèmes et de dire : donc ma peur, oui, c’est celle qui me maintient constamment en éveil pour être curieuse, pour aller voir des choses et je pense que j’ai une appétence aussi pour ça. Mais le point, c’est surtout de se dire qu’il ne faut pas que ça handicape.

Christophe – myRHline [00:19:25] Est-ce que tu as d’autres peurs à nous partager ?

Sandrine [00:19:27] J’en ai plein *rires*

Christophe – myRHline [00:19:29] Dans le cadre du travail, évidemment.

Sandrine [00:19:32] Oui. Y a la peur de ne pas être crédible, la peur de ne pas y arriver, la peur de ne pas être le manager que je prêche aux autres et que je demande aux autres d’être. Parce que quelquefois en RH on peut être les cordonniers les plus mal chaussés et ne pas passer suffisamment de temps avec nos équipes. La peur du burn out. Je l’ai vécu pendant le Covid en me disant « là, il faut que tu arrêtes parce que si toi tu tombes malade, il n’y a plus personne pour pour tenir la baraque ». Et du coup de se dire à quel moment… quelle est ma propre limite en fait, jusqu’où moi-même je peux aller. Celle-là elle m’a fait peur à un moment. C’est plus le cas aujourd’hui. Mais ça, c’est dans mes modes de fonctionnement et dans mes modes de déraillement. Je suis quelqu’un d’assez passionnée et entière, donc ça fait partie de mes points de vigilance de se dire « Ouh la la, là faut se reposer un petit peu parce que ça peut être compliqué et tu es sur la pente glissante ». Et du coup, ces peurs-là, elles sont probablement partagées avec beaucoup de DRH.

Christophe – myRHline [00:20:44] Alors justement : je suis salarié, je suis au bord du burn out, il y a des signaux faibles, un collègue vient t’informer que tel collaborateur ne va pas bien. Tu fais ce qu’il faut, tu mets en place un plan d’action, un plan psychologique, etc. OK. Toi demain t’es au bord du burn out, tu te tournes vers qui, en tant que RH ?

Sandrine [00:21:08] Alors quand ça m’est arrivé, j’ai eu deux recours. Un, j’en ai parlé à mon patron en disant « là il faut que je me repose, il faut que je déconnecte parce que je sens que je suis borderline » et on avait une relation de confiance. Et du coup il m’a dit « évidemment, pas de souci, on arrête et tu prends les jours qu’il faut ». Donc ça, c’était un premier point qui était important. Donc savoir aussi créer une relation de confiance avec son patron, c’est important. Déjà parce qu’en tant que RH, il faut que le patron ait complètement confiance. Et la question que je retournerais c’est aussi « et nos patrons, vers qui ils se tournent quand ils sentent qu’ils sont au bord du burn out ? ». Donc ça c’est un point important de faire des check in réguliers aussi DRH et patrons. Et je me suis tournée vers du coaching. J’ai fait appel à un coach pour « re-balancer » et dire « Qu’est-ce qui est réellement important ? Quelle est la différence entre l’urgent et l’important ? Et à quoi je renonce si je ne fais pas tout et à quoi je renonce si je suis pas parfaite ? ». Mais être coaché aussi c’est quelque chose d’important. Et d’ailleurs, j’ai une coach qui était spécialisée en RH et elle disait que les burn out de DRH étaient beaucoup plus violents que les autres parce qu’évidemment personne ne les a vu venir.

Christophe – myRHline [00:22:35] Et parce que la personne les cache.

Sandrine [00:22:37] Et parce qu’on est très très forts pour les voir chez les autres. Et en général c’est nous qui les voyons, les signaux faibles, chez les autres. Et puisqu’on est persuadé de les voir chez les autres, on est persuadé qu’on les verra chez nous, ce qui n’est pas le cas.

Christophe – myRHline [00:22:51] Il y a aussi le fait que, je pense que beaucoup de RH se disent « si ma direction détecte que je ne vais pas bien, je suis dehors ».

Sandrine [00:22:58] C’est possible.

Christophe – myRHline [00:22:58] Parce que si je ne vais pas bien, je ne peux pas aider les salariés. Donc relation de confiance avant tout ?

Sandrine [00:23:06] La relation de confiance avec son avec son patron, pour moi, elle est primordiale. Déjà parce qu’il faut s’assurer d’avoir la totalité des informations, y compris celles qui sont confidentielles, y compris celles qui sont à long terme, y compris celles qui ne sont pas confirmées. Mais du coup, il faut être capable d’avoir vraiment cette relation de confiance pour pouvoir être le bon sparring partner, sinon on sert à rien. On fait de l’administratif et on gère les pots cassés. Mais c’est dû au skeeping, c’est plus du business partner. Même au sein d’un comité de direction, souvent le RH, c’est celui qui va aider ses collègues, mais eux ne sont pas forcément équipés pour nous aider nous. Et du coup, d’avoir cette relation de confiance avec son patron, elle est importante. Après si on commence tous les one to one par toutes les peurs, tous les doutes et tous les échecs, rapidement il va dire qu’il faut qu’il change de RH *rires* Mais en tout cas d’être capable de temps en temps de dire « Là stop, je ne comprends plus ce qui se passe » ou « J’ai besoin de ton éclairage sur tel ou tel point de la stratégie de l’entreprise parce que je ne comprends pas tout » ou « J’ai besoin de prendre du temps pour moi » ou « Là je ne suis pas en accord avec ce qui est en train de se passer », c’est important.

Christophe – myRHline [00:24:29] C’est quoi ta plus grande source de motivation en tant que RH ?

Sandrine [00:24:34] Ma plus grande source de motivation, ça va être très très prétentieux, mais c’est de changer la vie des gens. Quand on est DRH on a la chance, quelques fois… Alors RH de terrain on a la chance de donner son premier job à quelqu’un, de signer un contrat d’alternance, de prendre un stagiaire, quelquefois même si c’est plus dans l’ombre, d’aider un collaborateur à se développer professionnellement, d’appuyer une promotion. Alors ça c’est du travail de l’ombre parce qu’en général, les promotions, ce n’est pas toujours le DRH qui les annonce, c’est plus les managers, mais de voir comme ça les collaborateurs évoluer et de se dire « Ben moi, j’ai participé au fait que cette personne qui était apprentie il y a dix ans, aujourd’hui, elle a pris tel poste dans l’entreprise et il va bien où il a même créé son entreprise ou il est parti ailleurs », en tout cas de se dire « Quelque part, je change la vie des gens ».

Christophe – myRHline [00:25:26] Alors je ne te l’ai pas demandé au début, mais pour quelle raison tu as choisi le monde des ressources humaines au départ ?

Sandrine [00:25:33] Je suis tombée dedans par hasard. En tant qu’étudiante je bossais dans le retail, donc chez Sephora. Par hasard parce que je connaissais le logiciel de planification, il y a eu un poste qui s’est créé et j’ai aimé. J’ai aimé recruter les gens, alors c’était un poste très très opérationnel où je recrutais, je faisais les plannings, je faisais du magasin aussi. Donc si je recrutais pas les bonnes personnes et si je ne les planifiais pas de la bonne manière, je me retrouvais à faire des paquets cadeaux ou à être en caisse. Et c’est là où je me suis rendue compte qu’en embauchant un étudiant on lui permet de financer ses études, ou des intermittents du spectacle. Parce qu’à l’époque, sur les Champs Elysées, on travaillait avec beaucoup d’intermittents du spectacle, de choses comme ça. Et voilà, avec un contrat 20 à 20h, on arrivait à changer la vie des gens.

Christophe – myRHline [00:26:29] Quel conseil tu donnerais à un jeune RH pour sa vie professionnelle ?

Sandrine [00:26:36] Alors le conseil que je donnerais, c’est de se trouver assez rapidement un mentor. Quelqu’un qui justement n’est pas son manager, n’est pas son prof ou quoi que ce soit, mais quelqu’un qui peut donner des conseils. De temps en temps, c’est pas forcément un coach. Mais à des moments clés de la carrière, d’avoir des conseils avisés de quelqu’un un peu plus senior qui n’est pas intéressé directement, je trouve ça important. RH ou pas d’ailleurs, parce que ça peut être aussi des mentors opérationnels ou d’autres filières pour justement avoir un autre point de vue. Le deuxième conseil, c’est de développer très rapidement du networking. Quand on est jeune RH ça veut dire qu’on a encore des copains de promo, on a encore des gens dans les entreprises dans lesquelles on a fait des stages. Et le networking, c’est hyper important parce qu’on va se retrouver à se poser des questions, que d’autres se sont déjà posées, et à tester des situations que d’autres ont déjà testées, donc ça va être des raccourcis. Et de partager aussi, être capable de partager ses angoisses, de partager ses peurs, mais de partager aussi ses best practices, c’est quelque chose de très important. Et ça, c’est le luxe suprême : bien choisir son manager. Parce que les premiers managers c’est ceux qui nous forment quelque part, c’est ceux qui vont nous donner confiance, qui vont potentiellement nous ouvrir des voies auxquelles on n’a pas pensé au départ. Et moi, j’ai eu la chance de tomber sur des managers qui croyaient plus en moi que moi-même je croyais en moi, et c’est eux qui ont ouvert les portes et c’est hyper important. Alors c’est le grand luxe de choisir son manager, mais en tout cas de savoir que le rôle du manager est hyper important, c’est quelque chose qu’il faut avoir en tête parce que c’est eux qui vont quelque part nous aider à tracer le chemin.

L’étincelle RH [00:28:34] Merci d’avoir écouté Bande de Flippés. Un podcast imaginé et produit par L’étincelle RH en partenariat avec myRHline. Si vous avez des remarques, des suggestions ou si vous voulez partager vos peurs, n’hésitez pas à envoyer un message sur LinkedIn à Etienne Ageneau ou Christophe Patte. On se retrouve dans deux semaines pour découvrir un autre membre de la Bande de Flippés. Bouh.