Hors-jeu

Dernière mise à jour le 09/08/2024

David : 20 ans de commerce, des photocopieuses au recrutement. Un même plaisir : celui des rencontres et du contact. Le confinement, pour lui comme pour tant d’autres, ça pique un peu. Il raconte ce que ça fait de ne plus pouvoir faire justement. Savoureux à souhait.

Montée en puissance

Voilà près de 20 ans que je fais du commerce, du « vrai » : en 206 société (le début de carrière), en Mondéo (le problème de bosser dans une boîte américaine), en Audi (quand t’as explosé tes objectifs), en Touran (quand tu as des enfants).

Voilà près de 20 ans que je suis attaché commercial (le début toujours), ingénieur commercial (quand on te donne la « reconnaissance » mais pas le fixe qui va avec), Key Account Manager (toujours ces boites américaines), Ingénieur d’Affaires (bon t’as toujours pas le niveau ingé, mais t’en as le fixe), Team Leader (berger, parfois nounou de jeunes commerciaux en devenir), et maintenant je le fais sans titre particulier mais avec toujours autant de plaisir !

Si je suis « vendeur » ? Oui, parce que je vends nos prestations de service, c’est simple et basique (l’âge de raison) !

Bref : je suis attaché à mon travail, c’est quasiment viscéral, j’aime être au service de mes clients. Avec moi, ils ont appris pêle-mêle :

  • à faire des photocopies et des scans (eh ouais);
  • à optimiser la gestion de leur flotte automobile (je sens les larmes vous monter);
  • à recruter et/ou à mieux recruter (ce n’est pas moi qui m’en occupe une fois les contrats signés mais bon).

Oui, le gars est chaud. Pas Copperfield non plus mais un gars sûr !

Et là, c’est le drame

Tout allait bien, 18 mois de rêve après avoir rejoint mon nouveau projet. Croissance de chiffre d’affaires, embauches, nouvelles offres pour répondre aux besoins de nos clients (et grâce à mes remontées terrain. Ça, c’est notre truc à nous les commerciaux – les remontées terrain), et cerise sur le gâteau, Meilleur Vendeur de l’exercice 2019/2020 ! (Pour être honnête, je suis le seul à ne faire que çà dans la boutique).

Bref, je vise le ballon d’or pour la deuxième année.

Et là, on commence à entendre parler de la grosse grippe qu’il y a en Chine, dont même le nom ne semble pas crédible pour ma communauté (celle des commerciaux, vous suivez toujours… oui, parce qu’avec ma plume acérée, je ne voudrais pas vous perdre) : Corona Virus.

Je vous passe le nombre de jeux de mots que nous sommes capables d’inventer avec ce nom… surtout en période pré-printanière et donc de retour de l’apéro terrasse (rosé ou spritz, on est pas difficile). Je vous passe aussi les détails sur la montée de la psychose – vous les connaissez aussi bien que moi. Je vous en raconte quand même un petit pour la route. On nous explique qu’il faut prendre des réflexes de distanciation sociale…

— C’est à dire ?
— Bah papa, t’as plus le droit de serrer la main de tes clients et prospects, ni d’embrasser tes clientes.
— …

Alors, comment vous dire ? Pour nous qui sommes des hyper-sociaux, ça sentait déjà mauvais l’affaire… Là, tout mon parcours académique tombe à l’eau. Bah oui : les fameuses 30 premières secondes d’un rendez-vous, la poignée de main ferme, la création du climat propice à la confiance… Je plaisante, mais on avait quand même appris de sacrés trucs et astuces en école de commerce (oui oui, ce terme est bien le bon, on parle bien de 3 ans d’études).

Les jours passent. 13 mars : allocution d’Emmanuel Macron. On a plein de défauts mais quand le boss parle, on l’écoute. La douche froide ! Les écoles et les crèches seront fermées jusqu’à nouvel ordre. Là, tu reprends un apéro, tu essaies de trouver un plan d’urgence pour le lundi suivant parce que, juste pour rire, quand tu as 3 enfants (des jumeaux de 2 ans ½ et l’ainé de 6 ans ½) , tes enfants, tu les aimes plus que tout mais tu aimes bien aussi les personnes qui s’en occupent pendant la journée (OMG).

Bon, t’es pas peu fier, tu as trouvé un étudiant qui vient dimanche pour se présenter à la maison ! T’inquiète bonhomme, je t’apprécie déjà et là je la joue comme Beckham. RDV programmé à 15 heures pendant la sieste des jumeaux (ha bah oui, on a peu de vice).

Et là, c’est le drame, mais pire

Le plan est parfait jusqu’au lundi 17 mars au soir… Manu reprend le mike et pousse le bouchon en parlant de confinement. C’est quoi çà ? Une nouvelle boîte sur Nantes ? (Oui, on aime bien sortir aussi.) C’est chaud chacun chez soi. Donc le petit étudiant (CQFD) et mes enfants n’ont plus de garde pour la journée. Enfin, les journées. Une bonne nouvelle ne venant jamais seule, on part pour 15 jours de confinement, ça sent la propale de closing çà ! C’est 15 jours achetés 15 jours offerts avec le gouvernement.

Nous voilà partis le lundi 17 au matin en télétravail avec les enfants, les devoirs du grand et ma maman venue me donner un coup de main. Tout se passe bien, très bien même. Oui, on aime bien aussi les défis, on marche à l’objectif !

Jour après jour, un sentiment émerge – oui, je l’avoue : je ne sais pas si j’ai manqué à mes clients, mais à moi ils m’ont manqué. Follement. Éperdument. Douloureusement. (Une autre de nos caractéristiques : on a la culture mais on reste modeste. #césars1996)

Après 3 semaines, je ne sais pas comment mes confrères commerciaux se portent, mais une chose est sûre pour moi : je suis fait pour ce métier. Mon indépendance me manque : mes longs trajets en voiture, les sandwichs triangles, le café pris au comptoir lorsque nous sommes en avance à un RDV, les émissions de radio (#BrigitteLahaye), s’arrêter dans un routier pour un déj’ rapide, sentir cette France des régions qu’on aime tant. Mes rendez-vous prospects aussi me manquent : l’adrénaline de cette nouvelle rencontre (ai-je bien préparé mon RDV ? que vais-je découvrir dans cette nouvelle entreprise ?), cette remise à zéro des compteurs (l’atteinte de nos objectifs mensuels, trimestriels…).

Vous l’aurez compris : je préfère être acteur plutôt que spectateur. Je crois d’ailleurs qu’il s’agit là de notre ADN, nous sommes à notre niveau, nous aussi, des « artistes », nous sublimons nos offres et nos équipes pour convaincre de travailler avec nous. Parce qu’il n’existe pas de bons commerciaux sans une belle offre, qu’elle soit de service, de production, ou de quelque prestation que ce soit. Nous sommes buteurs mais pas sans une grande équipe autour de nous.

Force de constater qu’il est difficile de marquer quand on est hors-jeu.

P.S. : un grand MERCI à mes clients qui, pour certains, me font confiance depuis des années et qui je l’espère continueront après cet épisode ! Alors oui, on reste chez nous mais on espère que ce ne sera pas pour trop longtemps.

P.S. bis : je vous en prie, répondez favorablement à nos demandes de RDV quand tout sera terminé ! nous aurons besoin de prendre l’air !